VIRGINIE FANTINO – SAVOIR-FAIRE

Virginie Fantino a une sensibilité accrue et aime prendre son temps. Elle crée une nouvelle collection par an et tient à ce rythme particulier et précieux. Chaque pièce représente une petite histoire ou une personne de son entourage. Dans son atelier partagé, elle donne du temps à ses idées, elle les laisse s’épanouir, elle teste les matières, échange avec les autres créateurs et reçoit des clients pour des projets uniques. Dans cette deuxième partie, Virginie évoque sa manière de travailler, les outils qu’elle affectionne et l’apprentissage de son métier.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-établi miroir ©Eric Massua

© Eric Massua

Où travailles-tu ?

Je travaille au sein d’un atelier partagé, nous sommes six au total. Il est situé dans le centre de Marseille, près du Vieux Port. C’est un lieu qui fait environ 100 m2, chaque membre a un petit espace et nous avons une boutique commune. Mon atelier est situé dans la mezzanine. Parmi les autres membres, il y a une autre créatrice de bijoux dans le textile, une peintre, deux créateurs de luminaires (un qui travaille autour de la récupération du métal et l’autre qui fait de la sculpture sur bois et du verre soufflé) et un luthier qui fait des guitares. J’ai eu deux ateliers, le précédent qui était à Saint-Denisétait également un atelier collectif que j’avais montéavec des amis. J’ai vraiment choisi de travailler dans un atelier partagé.Ça fait partie de ma façon de travailler et de me nourrir. J’apprécie l’échange avec les autres, le partage de l’outillage, le fait de se montrer nos prototypes et d’être dans une dynamique particulière. On peut faire des projets en commun et on peut gérer la boutique ensemble. C’est très important pour moi.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-Watt-18

As-tu déjà fait un projet particulier avec l’un des créateurs de ton atelier ?

Nous n’avons jamais fait un projet commun qui a été mis en vente. Par contre, nous échangeons beaucoup, notamment au niveau technique. Lorsque nous hésitons sur la manière de réaliser un projet, nous donnons notre avis sur les méthodes à envisager. C’est une manière de travailler ensemble mais ça n’a jamais débouché sur une collaboration à proprement parlé.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-outils

Quel est ton outil préféré et pourquoi ?

Mon outil préféré est le bocfil (la scie du bijoutier). J’ai aimé apprendre à l’utiliser. C’est un apprentissage assez ingrat et au début, c’est terrible. Si on arrête de l’utiliser pendant une semaine, on repart à zéro. J’ai donc trouvé l’utilisation de cet outil difficile dans un premier temps. J’avais appris à l’utiliser durant mon DMA et puis toute seule. Je pensais savoir bien l’utiliser suite àmon projet de cage en laiton. Je l’avais plutôt bien réussie et je suis partie faire un stage en étant assez sûre de moi. J’ai commencé à scier devant le bijoutier qui me supervisait et il m’a tout de suite demandé d’arrêter. Il était très gentil mais je l’ai choqué car ma scie faisait un son absolument insupportable pour lui. Il m’a fait prendre conscience que le son que je produisais prouvait que mon mouvement n’était pas le bon. Il m’a expliqué les choses et m’a montré le bon geste. Il m’a éveillé à un autre aspect de la bijouterie. L’ouïe est très importante quand on scie ou quand on lime. On entend si on fait ce qu’il faut ou pas. Je pense que j’aime particulièrement cet outil pour cette raison. Ça a été une sorte de point de départ dans mon travail avec le métal. C’est un outil de base. Dès qu’on veut mettre en forme une pièce, il faut découper le métal. Le bocfil a été une découverte des matériaux. Désormais, je suis très à l’aise avec ma scie, j’arrive à dessiner avec elle et elle me permet d’atteindre cet état méditatif dont je parlais précédemment. La sensation de la scie qui entre dans le métal en profondeur est très agréable, c’est fluide et la scie se balade.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-outils préférés

Quels sont les autres outils que tu utilises ou affectionnes particulièrement ?

J’aime également beaucoup la lime dos d’âne, mon chalumeau et la pointe àtracer. J’ai une pointe à tracer en laiton qui est très belle. J’ai récupéré plein d’outils suite au départ à la retraite d’un bijoutier. Cette pointeà tracer en fait partie et j’ai l’impression qu’elle m’apprend plein de choses.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-cerneaux ©Eric Massua

Quels matériaux utilises-tu ?

J’utilise beaucoup le laiton que j’achète en plaques. C’est un matériau que j’aime car il a une certaine rigidité. Il se tient mais il est également malléable et facile à mettre en forme. Il est agréable à travailler contrairement à l’argent que je trouve un peu gras. Il bouche les limes et il est mou. J’aime la couleur du laiton et la façon dont il vieillit. Je trouverais ça génial de pouvoir garder mes bijoux en laiton mais je ne préfère pas à cause des allergies et des traces qu’il laisse sur la peau. Un doreur se charge d’ajouter une couche d’or. J’aime également beaucoup travailler avec de l’or mais je ne le fais que sur commande.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-2017

Comment choisis-tu les matières premières naturelles que tu utilises ?

Ça dépend. Au moment où je crée un prototype. Par exemple avec les olives, j’ai glané, fait sécher, testé et mis à rude épreuve de nombreux noyaux et catégories d’olives (il y en a vraiment beaucoup). J’ai donc mis àcontribution ma famille et mes amis en amenant des dizaines d’olives différentes à chaque apéro. Tout le monde s’y est mis ! Une fois que j’ai choisi le type de noyau que je vais utiliser (pour sa solidité, la manière dont je vais le travailler, sa manière de vieillir, etc.), je vais en récupérer plein et les nettoyer pour mes colliers et mes boucles d’oreilles. Par contre, pour les bracelets, il s’agit de petits noyaux d’olives de l’arrière pays niçois. C’est une amie qui fait de la tapenade et de l’huile d’olive qui me les fournit. Il y a toujours une petite histoire derrière chaque matériau naturel que j’utilise.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-établi

Au départ, les coquilles de noix venaient des noyers qui sont chez mes parents. Désormais, beaucoup de personnes m’en apportent, il peut s’agir de clients ou d’inconnus qui en déposent à la boutique. Pour les noisettes, une amie m’en apportait. Des producteurs qui font le marché près de chez moi me donnent des noyaux de pêche. Parfois, des personnes me rapportent des noyaux avec lesquels je n’ai jamais travaillé parce qu’ils les trouvaient jolis et ont pensé à moi, c’est chouette. J’ai plein de bocaux remplis de noyaux et de coquilles.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-WATT

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-watt-2017

Comment fonctionne ton processus de création ?

J’ai différentes manières de débuter un bijou. Soit je dessine et je passe vite à la réalisation, soit je choisis un matériau qui me plaît. Par exemple, je savais que j’avais envie de travailler avec la noisette. Dans ce cas, je découpe le matériau, je l’observe, je me demande pourquoi ce matériau me plaît et ça m’aide à cibler ce que je veux souligner. Pour la noix, j’aimais la forme du cerveau quand on l’ouvre en deux, c’est assez fou et beau. Une fois qu’on casse la noix pour la manger, cette forme n’existe plus et je voulais la dessiner à nouveau. J’ai donc fait un croquis et des tests sur la matière pour voir comment elle réagissait. J’ai ensuite réfléchi à l’assemblage pour qu’on ne le voit pas, pour que ça reste léger et durable. Il fallait mettre en valeur la coquille tout en créant quelque chose de nouveau. Si on met juste un noyau ou une coquille sur une chaîne, ça n’a pas d’intérêt, il faut créer un vrai bijou. Il y a tout un processus et beaucoup d’interrogations autour du matériau choisi.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-fabrication noix ©Eric Massua

D’un autre côté, j’utilise parfois un autre processus qui est complémentaire. Je vais faire des tests sur le métal ou avoir l’envie de tester une technique particulière (martelage par exemple) et je dessine alors une pièce en partant de ces essais de matière ou de technique. Les idées viennent différemment mais c’est finalement très complémentaire. Je me suis rendue compte que je faisais toutes mes pièces en pensant à quelqu’un. C’est parfois très simple. J’ai fait la noisette pour une amie qui était enceinte. J’ai eu l’idée de cacher une perle à l’intérieur comme dans un ventre. La cerise symbolisait les clafoutis de ma mère. L’année dernière, je me suis aperçue que je n’avais jamais fait de pièce pour moi. J’ai alors créé le collier « Plexus » recto et verso avec le noyau de pêche. Ce matériau me plaisait beaucoup car je retrouvais l’idée du cerveau mais aussi des poumons. J’ai longtemps fait de l’asthme et j’ai voulu me créer une sorte d’amulette pour me faire du bien. Je voyais cette forme de poumons et j’ai voulu lover un cœur anatomique au milieu. Il y avait un lien entre le cœur relique avec une petite auréole et l’idée de plexus qui me plaisait. J’ai réfléchi à cette pièce, je l’ai dessinée au préalable mais le matériau m’a accompagnée tout au long du processus. J’ai l’impression de dérouler un fil au fur et à mesure. Parfois, les liens sont d’abord inconscients, je pars sur une idée et je fais le lien avec ma propre histoire dans un second temps. Certaines idées me trahissent, je n’ai pas de recul sur ce que je crée et ce que ça symbolise. C’est une prise de risque. Si une nouvelle pièce ne plaît pas, ça va me toucher. Il faut trouver un équilibre pour prendre un peu de distance et ce n’est pas évident.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-2017-Watt

As-tu souffert de la solitude pendant ton parcours ?

Ça m’est arrivé au début de mon activité, quand je n’étais pas encore sûre de moi. Ma direction est désormais plus claire même si je continue à me poser beaucoup des questions. J’ai l’impression d’avoir plus d’acquis. Au départ, je me suis sentie assez seule car on a des milliards de choix à faire en permanence comme : où et qu’est-ce qu’on va exposer, comment faire les pièces, avec qui travailler, etc. On peut vite se sentir submergé et il est difficile d’en parler car on est vite enfermédans son atelier. J’ai tout de même l’avantage d’être assez pipelette et j’extériorise beaucoup donc je ne me suis jamais sentie complètement seule. L’atelier collectif aide beaucoup. J’ai senti très rapidement que j’avais besoin de cet environnement et de ce soutien. On se retrouve avec des gens qui sont un peu dans la même galère et qui y croit. Il fallait y croire, au tout départ, quand j’ai annoncé que j’allais faire mes bijoux et les vendre. Ce n’était pas gagné. Être à plusieurs dans ces moments décisifs est plus simple. D’un autre côté, il faut aussi supporter le groupe et avoir envie d’en faire partie. Désormais, je ne suis plus seule dans mon métier. Je sors beaucoup de mon atelier, je fais des ventes, je travaille avec des revendeurs et j’ai des retours de clients et de professionnels.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-17-Watt

Participes-tu souvent àdes salons professionnels ou à des ventes ?

J’en ai beaucoup fait au tout début, c’était assez épuisant. J’avais besoin de me faire connaître et d’acquérir une clientèle. C’était également une manière de me positionner, de voir ce qui plaisait ou pas. Ça m’a également obligé à réfléchir à la façon d’exposer mes pièces et ça m’a fait réaliser que tous mes colliers étaient trop courts. Je les faisais tous à la taille de mon cou qui est tout petit, ça faussait tout. Les proportions du corps varient énormément selon les personnes. Ces salons m’ont donc aidée à faire évoluer mes collections. Je faisais essayer mes piècesà des personnes avec des morphologies très différentes. Dans ma collection« Citron », qui est l’une des plus anciennes avec la collection « Noix », j’ai trois tailles de boucles d’oreilles différentes en fonction de la forme de la mâchoire ou de la longueur du cou. J’ai appris à m’adapter grâce à ces présentations auprès d’un public. C’est très instructif. Je continue à faire des salons plusieurs fois par an mais beaucoup moins. J’ai désormais plus de temps pour être dans mon atelier. Je commençais à être épuisée par ce temps passé sur la route, à monter les stands et à présenter les bijoux. C’était également beaucoup de stress et de préparation. Je suis ravie de continuer à en faire mais seulement de temps en temps. Je fais Maison & Objet une fois par an, c’est mon grand rendez-vous. Le salon a lieu en septembre, je sais donc que je vais présenter une nouvelle collection et que je vais mettre mon catalogue à jour. C’est une deadline pour redéfinir mes choix pour l’année et ça me permet de rencontrer des boutiques qui peuvent décider de revendre mes bijoux.

virginie-fantino-lenvers-du-decor-bijoux-établi miroir2 ©Eric Massua

© Eric Massua

Photos : © Virginie Fantino sauf mention © Eric Massua. Couverture : © Eric Massua. Photographies fournies par Virginie Fantino et publiées avec son autorisation.