Amateur de lignes épurées et d’esthétique industrielle, Rachik Soussi est un créateur de bijoux et professeur qui combine les métaux blancs et les pierres à la manière d’un peintre explorant les possibilités de sa palette de couleurs.
Bienvenue dans le monde de Rachik.
© Jean-Jacques Lemasson
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Rachik Soussi et je suis créateur de bijoux depuis 2003. Je suis également enseignant en bijouterie à l’AFEDAP et à Paris Ateliers. Mes expériences passées sont très diverses, je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Le bijou était presque un hasard plus qu’une envie, contrairement à ceux qui ont toujours su ce qu’ils voulaient faire. Dans mon cas, ce n’était pas du tout ça. J’ai exercé pas mal d’activités différentes et le jour où je suis arrivé au bijou, il s’est passé quelque chose, il ne fallait pas passer à côté. Du coup, j’ai eu envie de développer ça et de faire une formation pour apprendre ce métier. C’était vers 1997.
Comment es-tu tombé sur la bijouterie?
Un de mes amis, Pierre Lavandier, s’intéresse à beaucoup de choses. Il a eu la bonne idée de m’apprendre à faire de la cotte de mailles. C’est parti de là. Travailler la maille me permettait de m’évader. C’est là où j’ai commencé à comprendre les personnes qui font du tricot. Je ne suis pas quelqu’un de patient mais pour la cote de maille, c’est très différent. Il n’y a pas de raison d’être impatient sauf si on a une commande urgente.
Une fois qu’on a fait le tour du doigt avec la cotte de mailles, qu’est-ce qu’on fait? Je me suis un peu surpris moi-même en cherchant comment je pourrais la rattacher sur elle-même pour faire une bague. J’ai réussi à faire un anneau en cotte de mailles mais une fois qu’on a fait l’anneau, on fait quoi? J’ai eu l’idée d’y ajouter du métal, de lui faire un cadre. Mais comment faire le cadre? J’ai donc cherché une école et le hasard a fait qu’un très bon ami connaissait le directeur de l’école où j’ai fait ma formation, Franck. Il y a eu des petits signes comme ça, comme on peut en avoir quand il se passe quelque chose d’important, tout se goupillait.
© Aline Princet
Comment définierais-tu ton univers en quelques mots?
Il s’agit d’une esthétique industrielle, d’une mise en scène de la matière, de variations, de combinaisons et de confort.
L’univers de mes bijoux est lié à ce que j’aime. J’adore ce qui est géométrique, les lignes épurées, bien tendues. Les lignes très pures qui en jettent sont très difficiles à faire. C’est un résultat simple mais qui va faire appel à des éléments extérieurs tels que la lumière.
La collection des disques pointés, je l’aime beaucoup parce qu’elle est basée sur un simple point, ce qu’on appelle un repoussé de métal. C’est magique, on voit le volume apparaître. Ça amène un jeu de lumière, un rapport à la lumière et au corps, que j’ai tout de suite aimé.
Avant le lancement de ton activité dans les bijoux, quel a été ton parcours?
J’ai travaillé comme commercial, pour gagner ma vie, je ne savais pas ce que je voulais, c’était plus un travail alimentaire qu’autre chose. J’ai fait beaucoup de métiers différents donc la liste serait un peu longue, à une période j’ai travaillé en boîte de nuit.
Parmi mes expériences professionnelles, celle qui m’a beaucoup intéressée est d’avoir cherché à être éducateur spécialisé et de travailler dans ce milieu. J’ai commencé par être animateur, ensuite j’ai été directeur de centre de loisirs pour handicapés mentaux et par la suite je suis retourné dans les foyers mais sur la longueur, c’était très difficile à vivre. C’était assez lourd et, à un moment, j’ai choisi de me protéger. J’étais, malgré tout, super fier et content de les avoir aidés le peu de temps que j’ai pu faire. Ça m’avait beaucoup intéressé.
Quand as-tu décidé de lancer ta marque?
Je suis resté deux ans en formation à l’AFEDAP. Durant cette période, j’avais le projet de créer mes modèles et de les vendre. J’ai un peu profité de cette période pour faire quelques modèles, en même temps que la formation.
Sorti de la formation, je me suis directement mis à mon compte, ce qui n’est pas conseillé et que je ne conseillerai pas forcément parce qu’on n’a pas toujours les moyens, le temps, l’expérience suffisante, etc.
Je me suis jeté dans le grand bain assez rapidement, je ne le regrette pas mais j’ai quand même bu plusieurs fois la tasse, ce n’était pas évident. J’ai commencé relativement tard, j’avais 35 ans environ, pour moi, j’arrivais sur le tard et il fallait que je rattrape un petit peu le temps perdu. C’est pour cette raison que je me suis mis rapidement à mon compte mais je pense que ce n’était pas la seule raison, il y avait aussi l’envie. J’avais vraiment envie de développer mon activité mais je n’avais pas la maturité pour, à ce moment là. Elle a du se construire en même temps que le projet, ça fait beaucoup! Ça a été un sacré challenge à relever et ça l’est encore d’ailleurs!
Quels sont tes premiers souvenirs de création de bijoux ?
Qu’as-tu ressenti?
Lorsque j’ai fait ma formation, j’ai obtenu le résultat que je voulais, la collection ARMURE. C’est marrant parce que la notion de collection chevaleresque est une définition que j’ai perçu de l’extérieur, ce n’était pas mon inspiration première. Je ne pensais pas à la chevalerie, ça s’est un peu imposé tout seul. Le fait de mettre la cotte de mailles sous le métal m’a fait penser à une armure, la cotte de mailles en soi fait penser au chevalier. La bague ETRIER ramène au cheval et au chevalier. Tout était lié sans être voulu.
J’ai un autre très bon souvenir autour d’un de mes bijoux. Un ami gitan qui désespérait de voir la bague de son père aller à son frère car c’était un peu comme un héritage. Il voulait absolument que son fils en ait une de lui. Il m’a fait réalisé un modèle, la bague ETANE BAROCK, du nom de son fils. J’adore cette bague, elle est très baroque, à l’image de cet ami-là qui est un personnage un peu atypique. Je voulais une bague un peu racée qui soit à son image et le jour où je lui ai apporté sa bague, il était tellement ému qu’il s’est mis à pleurer. Voir cet homme verser sa petite larme était très touchant. Surtout, quand je lui ai demandé si cette bague pouvait porter le nom de son fils.
© Aline Princet
Comment fonctionne ton processus de création?
Quand je regarde quelque chose qui me plaît, j’essaie d’être un peu extérieur et de voir ce que je vais pouvoir en faire, avec la matière. Quand je vais regarder une matière qui me plaît, elle va résonner en bijou.
Le processus simplifié est le suivant, je compense des savoir-faire que je n’ai pas en les récupérant de gens qui ont pu les travailler auparavant. Ce n’est pas de la copie, il s’agit de récupérer des éléments travaillés par d’autres pour les combiner et faire des bijoux à ma manière pour arriver à ce que je veux. C’est un processus qui m’intéresse. Je n’ai pas de barrière, il n’y a pas de méthode type. Je suis un challenger (rires). Je n’aime pas la facilité. Plus ça va être difficile, plus ça va m’animer parce qu’il faut trouver un moyen de le faire. On se plante, on recommence, on trouve d’autres solutions, j’adore!
Je me laisse un peu guider par l’esthétique, par la forme. Quand j’ai commencé, ce n’était pas ce que j’avais envie de faire qui comptait. La question qu’il fallait que je me pose, c’était : quel est le bijou que j’aimerais voir la personne porter? Je visualisais de l’extérieur ce que j’avais envie de faire plutôt que d’aller dans une direction qui peut te bloquer.
Où vas-tu chercher ton inspiration ?
Tout ce qui m’entoure peut devenir une source d’inspiration. J’aime quand c’est baroque au sens chargé du terme mais en même temps, très esthétisé, il ne faut pas que ce soit du baroque de mauvais gôut. J’aime quand des couleurs vont bien ensemble mais qu’elles ne sont pas attendues. Par exemple, dans les pierres, je suis tombé sur un grenat spessartite qui est orangé. J’avais combiné ces deux matières, le grenat et l’or gris 13% qui est plus chargé en palladium. C’est marrant car, comme pour la peinture, il n’y a pas de nuancier pour la création, il faut réussir à combiner deux matières, deux formes, deux univers ou deux couleurs ensemble.
Il faut chercher ces combinaisons et essayer de trouver ce qui peut aller avec quoi. Même au niveau de la forme du bijou, son volume général, il y a des choses qui ne fonctionnent pas et ça ne s’explique pas, c’est juste le regard qu’on porte dessus. J’aime à penser qu’à un moment, j’ai trouvé un bon équilibre dans un modèle. Je m’inspire beaucoup du Moyen-Age pour créer des bagues qui peuvent rappeler les armures de l’époque. Je suis, le plus souvent, guidé par la représentation que je me fais d’un futur modèle porté, avant de le réaliser.
Pour lire la suite : Rachik Soussi – 2/3 Savoir-faire
© Aline Princet
Photos : © Rachik Soussi sauf mention © Jena-Jacques Lemasson, © Aline Princet. Photographies fournies par Rachik Soussi et publiées avec son autorisation.