L’ATELIER VERRERIE DU CHAT NOIR
Lors d’un séjour en Dordogne, je suis allée dans l’atelier de Samuel Brand, souffleur de verre et perlier d’art. Il fabrique des bijoux mais aussi des objets du quotidien tels que des flacons, des presse-papiers, des verres ou des vases. Samuel a énormément d’idées. Il cherche sans cesse de nouveaux décors et explore des techniques pour les revisiter. Il tient à proposer des pièces originales tout en restant abordables. Samuel et moi nous connaissons depuis plusieurs années, je l’ai souvent regardé travailler et je suis ravie de pouvoir parler de ses belles pièces et de la magie de son métier.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Samuel Brand, j’ai 29 ans et je suis souffleur de verre et perlier d’art depuis quinze ans. Je suis installé en Dordogne, au Lardin Saint-Lazare, à quelques kilomètres des grottes de Lascaux.
Comment définis-tu ton univers ?
Je fais des bijoux en verre que je fabrique avec un chalumeau mais aussi des objets que je réalise à la canne. J’aime fabriquer des pièces abordables et relativement colorées avec des décors assez travaillés. Je me consacre à la recherche de mes propres décors plutôt qu’à l’utilisation de décors classiques ou créés par d’autres verriers. Je le fais parce qu’Il faut savoir se renouveler pour proposer de nouvelles pièces et vivre de ce métier. Néanmoins, ma motivation principale reste de pouvoir proposer des pièces abordables avec des décors inédits.
Je fais surtout des petites et moyennes pièces voire de l’agencement de petites pièces avec des décors. Si une pièce dépasse une certaine taille, le prix est beaucoup plus élevé et on ne cible plus du tout les mêmes personnes. J’ai juste envie que toutes les personnes puissent repartir de chez moi avec une pièce, contentes et sans se ruiner. Je suis en train de monter un atelier boutique au Lardin Saint-Lazare qui s’appelle L’Atelier verrerie du Chat Noir. Je veux que ce soit un lieu où les gens puissent trouver leur bonheur, à un prix raisonnable. Je veux que ce soit ouvert à tous. C’est un projet qui me tient à cœur depuis le lycée. Je me suis inspiré du raisonnement d’Émile Gallé (1846-1904), maître verrier qui a fondé l’Ecole de Nancy et contribué à l’avènement de l’Art Nouveau. Il avait une équipe, il dessinait ses projets, je pense qu’il touchait peu voire pas de verre et il les faisait réaliser par des verriers très compétents. Il a permis de faire connaître le monde du verre à un public plus large. On ne trouvait pas de verres bas de gamme comme on peut désormais le faire dans les supermarchés. À l’époque, c’était inabordable. Offrir des verres était vraiment un beau cadeau. Les verres pouvaient, par exemple, faire partie d’une dot, ce n’était pas anodin. On vit aujourd’hui dans une société différente mais je tiens à ce que le verre soit abordable.
Comment choisis-tu les objets que tu vas créer ?
Pour être honnête, c’est parfois en fonction de mon stock de verre ! 🙂
Plus sérieusement, ça dépend des moments. J’essaye de trouver un objet qui me plaît et que je visualise bien en verre. Je dois ensuite trouver un procédé de fabrication adapté à ma matière. C’est compliqué, il faut parfois faire beaucoup de recherches et il y a beaucoup de tentatives ratées. Par exemple, j’ai récemment réalisé des boutons de porte et ça s’est fait assez facilement. Ce n’est pas toujours le cas. J’avais anticipé mon procédé de fabrication avant même d’avoir reçu les pièces me permettant de réaliser les boutons. Il faut s’adapter en permanence. C’est une recherche perpétuelle et c’est ce que j’aime dans mon métier.
Tu fais des pièces à la canne et au chalumeau, pourquoi as-tu choisi d’utiliser ces deux approches ?
Ça peut paraître bête mais j’ai commencé à faire des perles au chalumeau pour des questions alimentaires. Je me suis vraiment pris au jeu. Ce n’est pas une pratique anodine, ça fait désormais partie intégrante de mon activité et je n’arrêterai pas. Le chalumeau permet de faire des décors extrêmement fins. Chaque outil a ses spécificités. Certains décors sont possibles au chalumeau, pas à la canne, et inversement. Il y a des effets différents en fonction des pièces qu’on fabrique. La canne traditionnelle permet vraiment d’être dans le ressenti de la matière alors que le chalumeau sera plus dans la finesse. À terme, j’aimerais beaucoup combiner les deux techniques. Je n’en suis pas là pour l’instant même si j’ai déjà réalisé quelques pièces en associant les techniques. Mes flacons sont constitués d’un bouchon fabriqué au chalumeau et d’un contenant réalisé à la canne. Il faut apprendre à bien gérer les coloris car ça ne se comporte pas de la même façon selon l’outil. En réalité, ce sont deux métiers différents.
Quand et comment as-tu débuté cette activité ?
J’ai décidé de me lancer dans ce domaine en 2003 après avoir observé un artisan d’art dans le verre, à Vianne (Gers). J’ai visité son atelier et vu les étapes de réalisation des travaux. L’un de ses assistants m’a renseigné sur l’Ecole Nationale du Verre à Yzeure dans l’Allier et j’y suis allé. Je n’avais jamais touché un bout de verre avant d’arriver au lycée d’Yzeure. Je ne savais pas si ça allait me plaire mais j’ai la chance d’être suivi par ma famille. Mes parents m’ont suivi et se sont beaucoup impliqués dans mon activité. Je n’aurais pas pu faire la mise en place de l’atelier tout seul. Au départ, c’était un jet de dés. J’avais 14 ans et je voulais essayer. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer beaucoup de verriers qui m’ont montré des techniques. J’ai cependant énormément appris en autodidacte. J’ai des techniques assez personnelles, notamment au niveau des perles. En terme de soufflage, la formation reçue à Yzeure était poussée. J’y ai appris l’histoire du verre et ma façon de travailler est souvent issue des techniques historiques du verre. Je les adapte aux techniques et à la technologie actuelles. Les premiers décors datent de l’Egypte antique, ils n’avaient évidemment pas le même matériel que celui dont nous disposons aujourd’hui !
Qu’as-tu ressenti la première fois que tu as observé les verriers ?
C’était vivant et magique. Ça bougeait très vite, les verriers avaient une belle gestuelle. Ils arrivaient avec une boule en verre à 1150 °C et réussissaient à faire des objets. C’est le mouvement qui m’a plu.
Quel a été ton parcours après cette visite d’atelier et l’entrée au lycée ?
J’ai préparé un CAP puis un Brevet des Métiers d’Art que j’ai fait en alternance avec les cristalleries royales de Saint-Louis, une manufacture dans le luxe, pendant deux ans. Ensuite, je suis parti pendant trois ans avec mon sac à dos pour aller à la rencontre de différents verriers français. Je voulais travailler avec eux, apprendre des techniques et proposer mes services. Je passais un coup de téléphone, je prenais le train et j’arrivais chez eux. Je suis allé dans l’Hérault, en Savoie, à côté d’Avignon et en Dordogne où j’ai rencontré un verrier qui m’a permis de faire mes premières pièces et de me lancer à mon compte, autour de 2011. Je me suis donc installé en Dordogne et mon entreprise a grandi gentiment. J’ai eu la chance de tomber sur des personnes adorables notamment un verrier qui s’appelle Daniel Baroy qui m’a donné du matériel pour m’aider à me lancer notamment des bruleurs de four de très haute qualité. Ça m’a beaucoup aidé. Le verrier qui m’a énormément inspiré est Pierre Nicolle qui travaille près d’Avignon à L’Isle-sur-la-Sorgue. Il m’a appris beaucoup des décors que je connais et à ne pas me compliquer la vie sur certaines choses pour avoir un résultat de qualité. Hormis le fait que le verre est une matière capricieuse et difficile à travailler, c’est une matière qui cherche la simplicité. Il ne faut pas chercher à se compliquer la vie quand ce n’est pas nécessaire. Pierre Nicolle mais également Ludovic Guittet sont les deux verriers qui m’ont marqué durant mon voyage.
Te rappelles-tu de ta première pièce ? Qu’est-ce que c’était ?
J’ai manipulé le verre pour la première fois au lycée et j’ai fabriqué un pilon. C’était notre premier exercice pour apprendre l’allongement du verre. La manipulation m’a fait très plaisir, j’ai ressenti beaucoup de nouvelles sensations assez fortes. C’est intense surtout quand on arrive à obtenir un objet fini pour la première fois car on en rate beaucoup avant d’y arriver. Une prise de matière correcte prend des semaines, il faut réussir à récupérer la quantité juste de verre. Il faut des années d’apprentissage pour acquérir le cueillage et il m’arrive encore de me tromper.
Te brûles-tu souvent ?
Non, plus maintenant. Au début, il y a eu des petits accidents mais je n’ai aucune cicatrice ! On se brûle davantage quand on fait des grosses pièces et ce n’est pas ma spécialité. Il m’arrive d’en faire mais ce n’est pas ce que je préfère.
Quel est ton processus de création habituel ?
Ça dépend. J’ai parfois une idée en pleine journée et je fais un essai pour évaluer les contraintes techniques. Il est très rare que je sorte une pièce directement. Il m’arrive également de dessiner à l’avance notamment pour mes pièces les plus récentes qui sont des tableaux. Il faut des proportions à l’avance pour pouvoir bien les agencer. Néanmoins, je n’ai pas non plus dessiné toutes mes idées de tableaux. Je sens parfois que ça ne marche pas pour certaines idées. Pour tous mes projets incluant des sculptures, je dessine au préalable pour avoir une idée des proportions et m’assurer que tous les éléments rentrent dans le cadre.
Te sens-tu limité lorsque tu dessines ?
Non, je suis à l’aise avec le dessin. Je fais des croquis de pièces depuis le lycée donc je réussis bien à évaluer les proportions. Je ne me sens pas limité par le dessin puisque je réussis à retranscrire l’idée que j’ai en tête. C’est plutôt la retranscription de mon idée à travers la matière qui peut être contraignante. Je peux recommencer ou gommer un dessin, le verre ne me fera pas de cadeau si je fais une erreur. Il n’y a aucun moyen de rattraper une erreur car le verre a une mémoire. Il se souvient qu’on l’a travaillé. On peut éventuellement réutiliser du verre transparent après l’avoir remonté en température mais les cas de figure sont limités. Lorsqu’il y a de la couleur, elle tombe au fond du four et mange la matière réfractaire. Ce n’est pas bon pour le four. Il ne faut pas non plus mettre d’oxyde métallique dans un four.
D’où vient ton inspiration ?
Je m’inspire souvent de la nature notamment du monde aquatique. Quand j’étais au lycée, j’ai eu la chance de trouver un livre de référence sur les coquillages et beaucoup de mes décors sont inspirés de cet ouvrage. Je m’inspire également des poissons et je visite beaucoup d’aquariums. C’est un univers très coloré qui me plaît. J’ai toujours travaillé davantage la couleur que la transparence dans le verre. Je commence à utiliser de plus en plus de verre transparent car il permet d’obtenir plus de nuances dans la couleur que lorsqu’on utilise seulement une couleur unie. Tout dépend du résultat recherché. L’idéal est d’utiliser les deux, en fonction des projets, pour se diversifier. On peut presque obtenir un rendu proche de la céramique avec du verre opaque, notamment avec la technique du craquelé. J’utilise rarement cette technique mais elle peut faire penser au raku.
Photos : © L’Atelier verrerie du Chat Noir, © L’Envers du Décor. Photographies fournies par Samuel Brand ainsi que L’Envers du Décor et publiées avec leur autorisation.
