Juliette Laloë Savoir-faire

Après avoir parlé de ses pièces et de la création de Juliette Laloë,  ce deuxième article
est consacré au savoir-faire de Juliette et à la visite de son atelier.  On y évoque sa façon de travailler,
ses inspirations, son engagement, ses doutes et son approche du métier.

Où travailles-tu?

Je travaille chez moi, dans mon atelier.  Grâce aux grands espaces, je peux
scinder l’atelier en deux. Une partie conception-réalisation et une partie
travail du métal en extérieur, dans la forge familiale. Cependant, je souhaiterais
également travailler dans des espaces de co-working en parallèle (je cherche).

Parle moi de ton savoir-faire, comment fonctionne ton processus de création ?
Est-ce, par exemple, via le dessin ou des mood boards ?

Ça dépend, parfois j’ai déjà une idée fixe que je pose sur papier pour voir
comment je vais la réaliser. Parfois, un documentaire ou un livre me donne
des références. C’est généralement la rencontre avec la matière qui me donne
une multitude d’interprétations. Je dessine puis je fais des essais.

Quel est ton outil de prédilection? Quelle en est la fonction?

La MEULEUSE ! C’est le plus bruyant et pas forcément le plus nécessaire
mais j’adore l’idée d’utiliser un tel outil comme si je sculptais pour trouver
un résultat tout en finesse.

Comment choisis-tu les matières premières ?

Les matières premières proviennent de mes voyages et de ceux des autres.
Elles viennent aussi de la nature ou de mes « chinages » en brocante.
Les chaînes, quant à elles, viennent de chez un très bon fournisseur.

Quels autres outils sont utiles à ton savoir-faire ?

Tous les outils classiques : le bocfil, les pinces, les ciseaux, les pinces à feu,
le triboulet, les brosses en acier pour pouvoir révéler l’argent et ma dremel
pour polir. J’ai également un petit chalumeau de cuisine et je me sers de la forge.
Mon père m’a laissé son atelier professionnel où il y a tout le matériel nécessaire
pour travailler le métal. Il y a des grosses foreuses, la forge, une enclume, etc.
Je fais encore beaucoup de bricolage!

Quels matériaux utilises-tu le plus ?

J’utilise du laiton et de l’argent, principalement. Je récupère de vieilles
fourchettes et des cuillères que j’arrive à refondre. C’est encore laborieux.
J’arrive à sortir une pièce de temps en temps donc  j’ai fait une série.
Je commence à apprendre à me servir des moules avec un bouquin mais
entre certaines étapes, il n’y a pas tous les détails, c’est énervant. Il faut
réfléchir, rater et recommencer.

Utilises-tu d’autres matériaux en dehors de ces métaux?

J’utilise également des pierres et des perles,
je fais de l’assemblage. J’ai envie de refaire des gros plastrons comme à
mes débuts. J’utilise un peu de tout, on va dire. Je viens de monter une gamme
de pochettes avec ma mère. On utilise du cuir, de la toile, des tissus qu’on
reteint, qu’on massacre et sur lesquels on repeint ensuite. On fait plein d’essais
pour trouver de nouveaux supports textiles un peu différents. Il faut toujours
essayer de se démarquer et d’inventer de nouvelles choses. De toute manière,
on ne peut rien inventer, tout existe donc il faut  remanier les choses. Ma mère
est peintre, elle ne peignait plus à cause de  problèmes aux mains mais je l’ai
motivée à refaire une exposition et des  pochettes. On essaie de monter un
business familial (rire) !

Comment s’est déroulée ton enfance dans ce milieu créatif ?

Ma mère est peintre et mon père architecte et l’atelier est juste à côté de
notre maison. J’ai donc toujours été dans le bois et différents savoir-faire, ce qui m’aide beaucoup
pour faire mes supports de sérigraphie pour mes stands. Je peux aller piquer
des planches et du matériel pour bidouiller. J’ai grandi dans l’art, je  ne me
suis pas trop posée la question et j’étais nulle en maths, ça élimine pas mal
de possibilités ! J’ai essayé de faire de l’architecture, comme mon père, pour
reprendre l’entreprise mais ça ne me plaisait pas.

La récupération de pièces est-elle récurrente dans ton travail?

Effectivement, malheureusement, ça ne se voit peut être pas assez dans la description de mes
bijoux. Je voudrais le revendiquer. J’aime redonner une nouvelle vie aux
matériaux, ce n’est pas par obligation ou parce que je n’ai pas les moyens de
m’acheter des matières. J’achète beaucoup de matières nouvelles mais je
trouve génial de partir d’une pièce qui ne servait pas à ça. Ça me fait mal au
cœur de me dire que ça va finir à la poubelle. C’est comme en architecture,
on fait toujours du nouveau alors que si on prenait tout ce qu’il y a autour de
nous pour refaire du nouveau justement, on ferait des pièces avec une histoire
et je trouve l’impact esthétique beaucoup plus fort qu’avec du neuf, sauf quand
ces pièces neuves sont faites exclusivement à la main.

Utilises-tu d’autres matériaux de récupération?

Tout à fait, j’utilise beaucoup de fourrure et de cuir mais rien de neuf.  Je suis de
la campagne, j’ai fait partie de Green Peace et j’ai toujours soigné, recueilli et
défendu les animaux mais si on a consommé un jour certaines choses, on se doit
de leur redonner une vie et de ne pas les mettre à la poubelle. Par exemple, si je
trouve un vieux manteau en astracan avec de la fourrure, certes, c’est de la
fourrure mais c’est un manteau qui va finir à la poubelle et je trouve ça encore pire.

Par ailleurs, les hommes primitifs mangeaient de la viande, chassaient, faisaient la cueillette
et ils ne gâchaient rien d’une viande animale chassée. Les os servaient à faire
des outils, la fourrure à se chauffer en faisant des habits et c’est un peu comme ça
qu’on aurait du continuer à vivre et non faire de la fourrure pour l’industrie du luxe
et le vendre à un prix exorbitant, donnant envie à des gens d’exploiter des animaux.

J’achète peu de neuf, je n’achète pas dans des usines, je ramène des choses
de voyages ou des personnes me rapportent des choses. Ce sont aussi des
objets que je chine qui auraient peut être du finir à la poubelle. J’utilise
des éléments de la nature pour me rappeler d’où on vient et ce qu’on doit
respecter. On a le droit de se servir un peu dans la nature pour se nourrir,
pour ramasser une plante ou des champignons mais il faut aussi la respecter.

Penses-tu que la récupération soit l’avenir de la création?

C’est ce que j’aimerais faire sentir de plus en plus dans mon travail au fur et à
mesure des années. Si on pensait tous à la récupération, le monde irait bien mieux. Tant que ça ne se développera pas au niveau des grandes industries ou autre, la masse ne suivra pas et c’est elle qui fera la différence.

De plus, il y a des gens très bons qui voudront toujours changer les choses mais
malheureusement, on reste toujours trop peu influents, trop discrets et pas
forcément suivis  par la nouvelle génération. Beaucoup de personnes sont
constamment sur leur  téléphone et ne se posent pas la question de comment
le poulet est arrivé sur la table.  On arrive à se retrouver via des communautés,
en tout cas, il faut qu’il y ait un lien. J’ai l’espoir de faire partie de ce mouvement
qui va aider à construire autrement.

Pour lire la suite et fin de l’article : > Juliette Laloë – 3/3 Pour aller plus loin

Crédits photos : photographies publiées avec l’autorisation de Juliette Laloë © Juliette Laloë.