VIRGINIE FANTINO – RÉFÉRENCES & PROJETS
La sensibilité et la curiosité de Virginie sont très communicatives. J’ai eu envie d’en savoir plus sur les artistes et les bijoutiers qu’elle admire. Nous avons également parlé de ses projets et de ce que son métier lui apporte. Cette dernière partie vient conclure un entretien très riche et agréable avec la talentueuse Virginie Fantino.
Quel.lle.s sont les créateur.rice.s de bijoux dont tu aimes le travail ?
J’aime beaucoup le travail de Salomé Charly, de My Sen et de Monochromatiques. Il y a également Lucy Luce qui est également à Marseille. Ses bijoux sont très poétiques et c’est une personne géniale. Je pense aussi à Julie Deccuber qui fait des bijoux avec des bouts d’assiettes qu’elle découpe. Il y en a plein d’autres.
As-tu des artistes de référence dans d’autres domaines ?
Il y en a beaucoup. Les spectacles du chorégraphe et metteur en scène Pippo Delbono me touchent énormément. Il y a de l’intimité dans tout ce qu’il fait et ça me bouleverse. J’aime énormément Giuseppe Penone, Lucio Fontana, Calder ou encore Rousseau. En littérature, il y a une œuvre qui m’a marquée quand j’étais en train de lancer mon projet, c’est« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Márquez. Il y avait, tout à coup, cette fantaisie et cette magie qui pouvaient entrer dans le quotidien ainsi que la complexité des relations humaines, c’était passionnant. Il y a tellement d’œuvres stimulantes.
Quelles sont les qualités nécessaires pour faire ton travail ?
La curiosité car elle permet d’apprendre en permanence. J’ai l’impression de me former et d’apprendre continuellement. Il ne faut jamais rester sur ses acquis. Il faut également de la passion et sentir qu’on vibre en faisant cette activité. Il ne faut pas hésiter à se lancer. Les personnes qui nous entourent évoquent souvent un éventuel échec mais ça fait partie du processus. On essaie, on se trompe et on apprend. Il faut avoir envie de découvrir ce métier et se lancer.
© Agathe Maillol
Y a-t-il une pièce, créée par un.e autre, que tu aurais aimé fabriquer ?
Je n’ai jamais vraiment ressenti ça. J’ai un sentiment assez paradoxal. Il y a plein de pièces que j’admire mais je ne me dis jamais que j’aurais pu les faire. Par exemple, chez Penone, ses idées me touchent et j’aurais adoré les avoir pour mon travail mais, en même temps, elles lui appartiennent. Dans le domaine du bijou, Salomé Charly fait un magnifique travail sur le bois, je me dis souvent que c’est génial mais je ne pourrais pas le faire à sa place, ça reflète son univers. Je n’ai jamais eu envie de faire la pièce d’un autre créateur.
Aurais-tu pu être attirée par un autre métier ?
Ça aurait été un métier manuel, quoi qu’il arrive. Ma sœur est céramiste et mon père est ébéniste. Nous avons chacun notre matière, c’est assez drôle. Je me dis que je serais restée dans ces univers : la terre ou le textile, par exemple. J’aime l’idée d’avoir une matière de prédilection.
Quel est ton plus grand défi au quotidien ?
Il faut continuer à trouver l’équilibre entre la production et la création. Je dois vivre de mon travail. Quand ça marche, je suis très contente, je produis davantage mais j’ai moins de temps pour faire des prototypes. Je recommence donc à faire des prototypes mais je ne produis plus donc la trésorerie baisse. Je dois y être attentive. Il faut parfois réfléchir à agrandir la structure ou à sous-traiter mais j’aime travailler seule pour maîtriser chaque étape de la création. Il y a beaucoup de questions au quotidien. J’ai envie que l’activité reste à mon échelle tout en gagnant ma vie.
Quelle est la chose la plus satisfaisante dans ton travail ?
Quand je vois une personne inconnue porter l’un de mes bijoux. Il y a également la relation de confiance et la forme d’intimité qui se développe avec certains clients. Par exemple, je fabrique des alliances et les personnes se livrent sur leur envie pour me laisser la liberté de créer les bijoux. Ils me font confiance. Ça arrive également pour des pièces uniques. Des personnes m’apportent un objet important pour que je le monte en bijou. Récemment, une dame m’a apporté une coquille de noix d’Amérique qui a une forme différente des coquilles de noix françaises. C’est un gri-gri qu’elle emportait partout dans sa poche et elle a voulu que je réalise un collier. Je l’ai prévenue que je risquais de modifier la coquille car je devais la poncer pour la mettre à plat et elle m’a fait confiance. C’est un objet qui a beaucoup de sens pour elle et j’ai trouvé ça très beau qu’elle me le confie. Il y a également la préparation d’un cadeau. Une personne suit un projet depuis le début pour ensuite l’offrirà un être cher. Ces instants font beaucoup de bien.
Quels sont tes projets ?
J’aimerais continuer à travailler de la même manière. Cependant, j’arrive à un moment où je vais devoir choisir les pièces que je préfère pour continuer à les produire. Jusqu’a présent, j’enrichissais chaque année mon catalogue de pièces. Je produisais des bijoux autour d’une thématique végétale mais j’ai désormais trop de références pour pouvoir continuer àles produire seule. J’ai du mal à choisir et à me séparer de certaines collections, ce sera donc mon challenge pour l’année à venir. J’aime l’idée d’avoir des collections intemporelles. Mes bijoux sont portés comme des amulettes ou des objets intimes. Je ne respecte pas du tout le calendrier des collections (printemps-été, automne-hiver). Je fais une collection de cinq à dix pièces par an ce qui est très peu. J’ai ainsi le temps de faire des pièces uniques sur commande. Cette démarche me plaît et j’espère pouvoir continuer dans cette voie, à ce rythme. Je lutte contre l’idée des bijoux consommables. Les clients ont besoin de renouvellement parce que les pièces ne sont pas suffisamment fortes. Je ne veux pas proposer des nouveaux bijoux tous les six mois. Je préfère travailler avec des revendeurs qui touchent à une clientèle que je ne peux pas toucher directement mais qui revient.
J’essaie d’insuffler de la poésie et des histoires dans mes bijoux pour toucher àdes émotions, à l’intérieur de chacun, qui ne disparaitront pas dans six mois. Travailler sur le sensible a du sens et ça génère des pièces différentes. J’admire les créateurs qui sont capables d’avoir un geste pour une pièce uniquement pour sa beautémais ça ne correspond pas à ma manière de travailler. C’est un parti pris auquel j’ai beaucoup réfléchi. Lorsqu’on travaille avec des revendeurs, c’est compliquécar ils demandent mon nouveau catalogue tous les six mois. Je n’ai pas de nouveautés à chaque fois. Je ne pourrais pas faire des pièces intelligentes et sensibles si je devais me renouveler tout le temps. Le bijou est devenu un accessoire que l’on change tout le temps, je ne le conçois pas de cette manière. J’ai toujours eu des boîtes avec mes trésors (pépins de citron, coquilles, etc.) et je remarque que beaucoup de personnes y sont sensibles, ils l’ont également fait dans leur enfance mais ils ont oublié. Mes pièces sont une façon de leur rappeler, c’est précieux et ça fait du bien à chacun.
Quel créateur aimerais-tu voir sur L’Envers du Décor ?
Lucy Luce.
Photos : © Virginie Fantino sauf mention © Eric Massua. Photographies fournies par Virginie Fantino et publiées avec son autorisation.